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歌詞: Claude Nougaro. Other. Plume D'ange.


Vous voyez cette plume ?
Eh bien, c'est une plume... d'ange
Mais rassurez-vous, je ne vous demande pas de me croire, je ne vous le demande plus.
Pourtant, ecoutez encore une fois, une derniere fois, mon histoire.
Une nuit, je faisais un reve desopilant quand je fus reveille par un frisson de l'air.
J'ouvre les yeux, que vois-je ?
Dans l'obscurite de la chambre, des myriades d'etincelles... Elles s'en allaient rejoindre, par tourbillonnements magnetiques,
un point situe devant mon lit.
Rapidement, de l'accumulation de ces flocons aimantes, phosphorescents, un corps se constituait.
Quand les derniers flocons eurent termine leur course, un ange etait la, devant moi, un ange reglementaire avec les grands aile
s de lait.
Comme une fleche d'un carquois, de son epaule il tire une plume, il me la tend et il me dit :
"C'est une plume d'ange. Je te la donne. Montre-la autour de toi.
Qu'un seul humain te croie et ce monde malheureux s'ouvrira au monde de la joie.
Qu'un seul humain te croie avec ta plume d'ange.
Adieu et souviens-toi : la foi est plus belle que Dieu. "

Et l'ange disparut laissant la plume entre mes doigts.
Dans le noir, je restai longtemps, illumine, grelottant d'extase, lissant la plume, la respirant.
En ce temps-la, je vivais pour les seins somptueux d'une passion nefaste.
J'allume, je la reveille :

"Mon amour, mon amour, regarde cette plume... C'est une plume d'ange ! Oui ! un ange etait la... Il vient de me la donner... Oh
ma cherie, tu me sais incapable de mensonge, de plaisanterie scabreuse... Mon amour, mon amour, il faut que tu me croies, et t
u vas voir... le monde ! "
La belle, le visage obscurci de cheveux, d'araignees de sommeil, me repondit :
"Fous-moi la paix... Je voudrais dormir... Et cesse de fumer ton satane Nepal ! "
Elle me tourne le dos et merde !

Au petit matin, parmi les negres des poubelles et les premiers pigeons, je filai chez mon ami le plus sur.
Je montrai ma plume a l'Afrique, aux poubelles, et bien sur, aux pigeons qui me firent des roues, des roucoulements de consider
ation admirative.
Je sonne.
Voici mon ami Andre.
Posement, avec precision, je vidais mon sac biblique, mon oreiller celeste :
"Tu m'entends bien, Andre, qu'on me prenne au serieux et l'humanite tout entiere s'arrache de son orbite de malediction guerroy
ante et funeste. A degager ! Finies la souffrance, la sottise. La joie, la lumiere debarquent ! "
Andre se massait pensivement la tempe, il me fit un sourire emu, m'entraina dans la cuisine et devant un cafe, m'expliqua que m
oi, sensible, moi, enclin au mysticisme sauvage, moi devais reconsiderer cette apparition.
Le repos... L'air de la campagne... Avec les oiseaux precisement, les vrais !

Je me retrouve dans la rue grondante, tenaillant la plume dans ma poche.
Que dire ? Que faire ?
" Monsieur l'agent, regardez, c'est une plume d'ange. "
Il me croit !
Aussitot les tonitruants troupeaux de bagnoles deja hargneuses s'aplatissent. Des hommes radieux en sortent, aureoles de leurs
volants et s'embrassent en sanglotant.
Soyons serieux !
Je marchais, je marchais, devorant les visages. Celui-ci ? La petite dame ?
Et soudain l'idee m'envahit, evidente, eclatante... Abandonnons les hommes !
Adressons-nous aux enfants ! Eux seuls savent que la foi est plus belle que Dieu.
Les enfants... Oui, mais lequel ?
Je marchais toujours, je marchais encore. Je ne regardais plus la gueule des passants hagards, mais, en moi, des guirlandes de
visages d'enfants, mes cheris, mes feeriques, mes credules me souriaient.
Je marchais, je volais... Le vent de mes pas feuilletait Paris... Pages de pierres, de bitume, de paves maintenant.
Ceux de la rue Saint-Vincent... Les escaliers de Montmartre. Je monte, je descends et me fige devant une ecole, rue du Mont-Ce
nis.
Quelques femmes attendaient la sortie des gosses.
Faussement paternel, j'attends, moi aussi.
Les voila.
Ils debouchent de la maternelle par fraiches bouffees, par bouillonnements barioles. Mon regard papillonne de frimousses en min
ois, quetant une revelation.
Sur le seuil de l'ecole, une petite fille s'est arretee. Dans la vive lumiere d'avril, elle cligne ses petits yeux de jais, un
peu brides, un peu chinois et se les frotte vigoureusement.
Puis elle prend son cartable orange, tout rebondi de mathematiques modernes.
Alors j'ai suivi la boule brune et bouclee, gravissant derriere elle les escaliers de la Butte.
A quelque cent metres elle penetra dans un immeuble.
Longtemps, je suis reste la, me caressant les dents avec le bec de ma plume.

Le lendemain je revins a la sortie de l'ecole et le surlendemain et les jours qui suivirent.
Elle s'appelait Fanny. Mais je ne me decidais pas a l'aborder. Et si je lui faisais peur avec ma bouche seche, ma sueur sacree,
ma paleur mortelle, vitale ?
Alors, qu'est-ce que je fais ? Je me tue ? Je l'avale, ma plume ? Je la plante dans le cul somptueux de ma passion nefaste ?
Et puis un jeudi, je me suis dit : je lui dis.
Les poumons du printemps exhalaient leur premiere haleine de peste paradisiaque.
J'ai precipite mon pas, j'ai tendu ma main vers la tete frisee... Au moment ou j'allais l'atteindre, sur ma propre epaule, une
pesante main s'est abattue.
Je me retourne, ils etaient deux, ils empestaient le barreau : "Suivez-nous."

Le commissariat.
Vous connaissez les commissariats ?
Les flics qui tapent le carton dans de la gauloise, du sandwich...
Une couche de tabac, une couche de passage a tabac.
Le commissaire etait bon enfant, il ne roulait pas les mecaniques, il roulait les r :
" Asseyez-vous. Il me semble deja vous avoir vu quelque part, vous. Alors comme ca, on suit les petites filles ?
- Quitte a passer pour un detraque, je vais vous expliquer, monsieur, la veritable raison qui m'a fait m'approcher de cette enf
ant.
Je sors ma plume et j'y vais de mon couplet nocturne et miraculeux.
- Fanny, j'en suis certain, m'aurait cru. Les assassins, les polices, notre seculaire tennis de coups durs, tout ca, c'etait fi
ni, envole !
- Voyons l'objet, me dit le commissaire.
D'entre mes doigts tremblants il saisit la plume sainte et la fait techniquement rouler devant un sourcil bonhomme.
- C'est de l'oie, ca..., me dit-il, je m'y connais, je suis du Perigord.
- Monsieur, ce n'est pas de l'oie, c'est de l'ange, vous dis-je !
- Calmez-vous ! Calmez-vous ! Mais vous avouerez tout de meme qu'une telle affirmation exige d'etre appuyee par un minimum d'en
quete, a defaut de preuve.
Vous allez patienter un instant. On va s'occuper de vous. Gentiment hein ? gentiment. "

On s'est occupe de moi, gentiment.
Entre deux electrochocs, je me balade dans le parc de la clinique psychiatrique ou l'on m'heberge depuis un mois.
Parmi les divers siphonnes qui s'ebattent ou s'abattent sur les aimables gazons, il est un etre qui me fascine. C'est un vieil
homme, tres beau, il se tient toujours immobile dans une allee du parc devant un cedre du Liban. Parfois, il etend lentement le
s bras et semble psalmodier un texte secret, sacre.
J'ai fini par m'approcher de lui, par lui adresser la parole.
Aujourd'hui, nous sommes amis. C'est un type surprenant, un savant, un poete.
Vous dire qu'il sait tout, a tout appris, senti, percu, perce, c'est peu dire.
De sa barbe massive, un peu verte, aux poils epais et tordus le verbe sort, calme et fruite, abreuvant un recit ou toutes les m
ystiques, les metaphysiques, les philosophies s'unissent, se rassemblent pour se ressembler dans le puits etoile de sa memoire.

Dans ce puits de jouvence intellectuelle, sot, je descends, seau debordant de l'eau fraiche et limpide de l'intelligence alliee
a l'amour, je remonte.
Parfois il me contemple en souriant. Des plis de sa robe de bure, ils sort des noix, de grosses noix qu'il brise d'un seul coup
dans sa paume, crac ! pour me les offrir.

Un jour ou il me parle d'ornithologie comparee entre Olivier Messiaen et Charlie Parker, je ne l'ecoute plus.
Un grand silence se fait en moi.
Mais cet homme dont l'ange t'a parle, cet homme introuvable qui peut croire a ta plume, eh bien, oui, c'est lui, il est la, dev
ant toi !
Sans hesiter, je sors la plume.
Les yeux mordores lancent une etincelle.
Il examine la plume avec une acuite qui me fait fremir de la tete aux pieds.
" Quel magnifique specimen de plume d'ange, vous avez la, mon ami.
- Alors vous me croyez ? vous le savez !
- Bien sur, je vous crois. Le tuyau legerement cannele, la nacrure des barbes, on ne peut s'y meprendre.
Je puis meme ajouter qu'il s'agit d'une penne d'Angelus Maliciosus.
- Mais alors ! Puisqu'il est dit qu'un homme me croyant, le monde est sauve...
- Je vous arrete, ami. Je ne suis pas un homme.
- Vous n'etes pas un homme ?
- Nullement, je suis un noyer.
- Vous etes noye ?
- Non. Je suis un noyer. L'arbre. Je suis un arbre. "

Il y eut un frisson de l'air.
Se detachant de la cime du grand cedre, un oiseau est venu se poser sur l'epaule du vieillard et je crus reconnaitre, miniaturi
se, l'ange malicieux qui m'avait visite.
Tous les trois, l'oiseau, le vieil homme et moi, nous avons ri, nous avons ri longtemps, longtemps...
Le fou rire, quoi !



Nougaro, Claude
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